
Diversifier ses sources de financement pour se développer
Bonjour Martin,
Aujourd’hui, j’aimerais te parler d’une superbe rencontre que j’ai faite. Il y a quelques semaines, j’ai eu l’occasion de discuter avec Natasha Gupta, une accompagnatrice d’organisation à but non lucratif (OBNL ici au Québec, « ASBL » pour nos amis belges) pour leurs questions de financement. Cette rencontre m’a appris énormément sur le secteur associatif ici à Montréal et constitue pour moi un point de départ que je veux partager avec toi.
Natasha travaille avec le secteur associatif depuis plus de 15 ans, elle a commencé en faisant de la collecte de fonds dans plusieurs associations différentes et en alternant entre postes de pigiste, postes permanents et postes contractuels. Finalement on lui a proposé un poste de direction générale et c’est à ce moment qu’elle a décidé de se mettre à son propre compte, avec la volonté de pouvoir assister le plus d’organisations possible, et pas seulement une seule à la fois.
Lorsque nous avons abordé le sujet des sources de financements, Natasha a commencé par me peindre un bref portrait de la situation associative ici au Québec. Les choses se présentent ainsi : 60% des OBNLS se financent via des subsides (là où seuls 28% sont financés par des revenus auto-générés et 8% via un mix de dons et de commandites). Mais, le gouvernement baisse de plus moins 62% les subsides et les initiatives sur le terrain, ce qui impacte directement 75% des organismes qui sont financés via des subsides (dont plus de la moitié dépendent directement de ces subsides pour leur survie). De plus, ce retrait du gouvernement, sous la forme de baisse de subside et de réduction des activités sur le terrain engendre une augmentation considérable de la demande.
En sachant que le secteur associatif subvient à des besoins aussi multiples que variés, cela fait une quantité de services aux citoyens non négligeables qui est au risque de devoir fermer ses portes s’il y a des coupes dans les financements !
En ce qui concerne les sources et les stratégies de financements, Natasha a plusieurs conseils :
Diversifier ses sources de financements
Cela va de pair avec ce qui vient d’être dit bien entendu : tu peux imaginer l’impact pour les 60 % d’OBNL dont l’existence dépend entièrement des subventions du gouvernement si celles-ci viennent à disparaître. Le premier conseil de Natasha est donc d’éviter de « mettre tous ses œufs dans le même panier ». Un conseil plein de bon sens, mais pas nécessairement le plus facile à appliquer…
Tu te demandes donc probablement quelles sont les autres sources de financement à explorer. Parmi les exemples de Natasha, on retrouve notamment la philanthropie, le lancement de programmes payants, les commandites, les obligations communautaires et même ce mot très tendance pour l’instant de la blockchain !!
Si tu es comme moi, il y a plusieurs de ces termes qui ne te sont pas familiers, donc je pense que c’est une excellente occasion pour passer un peu de temps à en parler :
- La philanthropie : ça, on connaît déjà, je pense, c’est ce sentiment qui pousse les êtres humains à venir en aide aux autres, c’est notre amour de l’humanité. On parle donc ici des donations pures et dures, faites directement aux associations, soit par des personnes, soit par des organisations, voire même par des fondations qui se spécialisent dans la gestion de fonds philanthropique et les redistribuent ensuite aux associations !
- Le lancement de programme payant : c’est par exemple la cuisine communautaire du quartier qui décide de lancer des petits cours de cuisine payants donnés par des bénévoles et qui se finance en partie de cette façon.
- Les commandites : alors ça, c’est ce qu’on appelle aussi un sponsoring. En somme, c’est un soutien financier ou matériel apporté à une organisation en vue d’en retirer des avantages publicitaires directs. La partie importante de la phrase ici c’est « en vue d’en retirer des avantages publicitaires directs ». Une commandite n’est pas un don et donc n’est pas soumise aux mêmes règles (déduction d’impôts, etc.). Dans le cas d’une commandite, l’entreprise peut déduire à 100 % la dépense en frais professionnels ! C’est donc potentiellement plus intéressant pour une entreprise de financer un OBNL via ce mécanisme. Il y a pas mal de subtilités entre dons et commandites parce qu’on rentre dans les textes légaux, je ne vais pas rentrer dans les détails ici, mais ça pourrait valoir le coup d’approfondir dans le futur !
- Les obligations communautaires : alors là, je suis tombé de ma chaise quand elle m’a expliqué ce que c’était, car je n’avais jamais entendu parler de ce système ! Ça mériterait aussi un post entier dédié uniquement à ça, mais je pense que la meilleure façon de l’expliquer est la suivante :
- Un OBNL a un projet à financer. Il souhaite demander à ses usagers, clients, membres, partenaires (sa communauté) de le soutenir financièrement, d’accepter de lui prêter un montant pour une certaine période.
- Les membres de la communauté prennent connaissance des conditions d’émission, adhèrent au projet et décident de prendre des obligations. En échange de la somme prêtée, l’organisme émetteur remet un certificat à chaque souscripteur (= obligation).
- Pendant toute la durée du terme, l’organisme émetteur tiendra informés les détenteurs d’obligations de l’avancée du projet et de l’emploi des fonds. Les détenteurs d’obligations deviennent partenaires de l’organisme.
- À échéance, l’organisme émetteur remettra les intérêts aux détenteurs d’obligations et remboursera le capital.
- La réussite de l’émission d’obligations communautaires aura permis à l’organisme de réaliser son projet tout en contribuant à son rayonnement. Les membres de la communauté auront fait fructifier une partie de leur épargne au service d’un OBNL.
C’est incroyable non ?! Je ne pense pas que ce mécanisme existe en Belgique. Une piste intéressante, et je vais me mettre à la recherche d’OBNL ayant fait cette démarche pour en savoir plus !
- Enfin, celui dont tout le monde parle, la fameuse « blockchain ». D’après ce que Natasha m’a expliqué, il s’agit encore d’un domaine en exploration, avec peu d’exemples concrets dans le domaine, particulièrement au Québec, mais l’avantage ici c’est la transparence. En effet, il y a de plus en plus de redditions à faire pour les OBNL, beaucoup plus de suivi de la part des parties prenantes, ce qui augmente considérablement les efforts administratifs à fournir. Dans ce contexte-là, la blockchain permet d’avoir de la traçabilité facilement et ça limite les intermédiaires. Exemples :
- En France, en transférant les documents administratifs des sans-abri sur un système de « cloud » sécurisé pour ne plus qu’ils.elles aient à les transporter partout. La conformité des documents est ensuite assurée par un système de blockchain sur le « cloud solidaire » comme cadre de confiance, validant le document n’a pas été modifié et que l’on peut produire ainsi des certificats de conformité. (Source)
- En Amérique du Sud dans le cadre d’un projet de construction d’une école où le projet se fait en plusieurs phases et les financements ne peuvent être débloqués que lorsqu’une phase a été complétée. La blockchain assure ainsi la transparence et la fiabilité du système via un mécanisme de « smart contract ».
Bien entendu, la technologie blockchain reste réservée aujourd’hui aux plus grosses structures puisqu’elle nécessite de plus gros investissement mais elle a un potentiel certain pour le futur du financement des organismes à but non lucratif. En effet, elle est plus sécuritaire, plus transparente, elle facilite la collecte de fonds et permet une plus grande confiance dans les zones à risques.
En conclusion
Je peux dire que cette première rencontre avec le secteur associatif de Montréal a été riche en apprentissages pour moi. J’ai eu l’occasion d’en apprendre énormément que ce soit sur la situation des OBNL ici à Montréal ainsi que sur la diversité des modes de financement qui commence à s’ouvrir à eux. Cela me donne d’autant plus envie de poursuivre mes recherches et ces rencontres, car je peux sentir que je n’ai touché que la surface et que bien des surprises m’attendent encore.
Enfin, je veux vraiment mettre en avant la reconnaissance que j’ai vis-à-vis de Natasha pour m’avoir offert son temps et avoir répondu à mes questions sur le sujet. On a beaucoup parlé de l’importance de la confiance dans les relations que l’on construit, des valeurs et de l’éthique dans le cadre professionnel et j’ai été réellement impressionné par ce qu’elle a construit ici à Montréal. Les OBNL font un travail essentiel dans la société québécoise (et belge !) et je pense que c’est important de l’aider de toutes les façons possibles et le fait de rencontrer des gens qui ont un tel désir profond d’aider cette cause me donne beaucoup d’espoir pour le futur.
Merci Timour pour cette revue très intéressante !
J’ai 2 questions :
1/ Est-ce que les obligations communautaires peuvent être comparées aux émission de parts d’une coopérative, système de financement possible du côté de notre petite Belgique (voir par exemple Terre-en-Vue ou Hesbénergie, coopératives chères à mon cœur)?
Sinon, y a-t-il un système comparable de ton coté de l’Atlantique et celui-ci pourrait-il répondre à votre besoin de financement des OBNL?
2/ Pour moi, une OBNL produit peu ou pas de bénéfices … comment une OBNL dont le projet est financé par des obligations communautaires peut-elle à terme rembourser le capital emprunté par ces obligations?
Enfin, une petite remarque : la blockchain est un mystère pour moi … hé oui, je ne suis pas si jeune, et je n’ai encore trouvé personne qui ait pu m’expliquer ce concept de manière concrète et celui-ci me semble être très théorique … es-tu vraiment sûr que cela puisse faciliter la récolte de fonds dans le cadre des OBNL? Est-ce que ce concept n’est pas un peu trop « élitiste » (au sens compris par peu de gens)?
A bientôt, vivement les prochains épisodes !
Bonjour Fabry,
Excellente question ! Je vais commencer par répondre sur l’aspect des obligations communautaires et de l’émission des parts. Ces deux mécanismes existent effectivement ici et sont bien distincts. Si tu veux lire en détail, tu peux trouver tout cela dans le document suivant, à la page 24 http://www.tiess.ca/wp-content/uploads/2017/08/TIEES_guide_OC_livret-1.pdf
Pour faire bref, il y a plusieurs similitudes, dont notamment le fait que ce sont :
• Des outils de capitalisation destinés aux entreprises d’économie sociale
• Considérées comme de l’équité du point de vue de l’analyse financière
• Avec un lien direct avec la communauté
• Mobilisation et appui d’une communauté qui partage valeurs, intérêts, besoins, etc.
• Pas d’intervention dans la gouvernance (à moins que le souscripteur soit membre ;
1 membre = 1 vote)
Et plusieurs différences telles que :
• Statut de l’organisme émetteur : pour les émissions de part, c’est réservé aux Coopératives alors que les obligations communautaires sont ouvertes à tout Organisme à but non lucratif
• Cadre légal : pour les émissions de part, c’est la loi sur les coopératives et pour les obligations la loi sur les compagnies, Part. III
• Les avantages fiscaux pour les investisseurs : aucun dans le cas des obligations communautaires alors qu’avantages fiscaux liés au Régime d’investissement coopératif (RIC) sous certaines conditions pour l’émission de parts
• D’un point de vue comptable c’est considéré comme un avoir des membres pour les émissions de parts et comme de la dette pour les obligations
• En termes de remboursement, les deux méthodes suivent des formules souples de remboursement mais sont encadrées par différentes lois
• Membres / Non membres : pour les parts, il y a une distinction entre « part privilégiée » pour les membres et « Part privilégiée participante » pour les non membres alors que les obligations sont accessibles à tous.
Je reviens vers toi sur tes questions suivantes dès que je peux 😉 ! Merci de nous avoir contactés.